Comprendre le mouvement nabi : naissance, principes et figures majeures

Au tournant des XIX et XX siècles, les Nabis émergent à Paris autour de 1888. Ce groupe d'artistes, dont le nom vient de l’hébreu nabi (“prophète”), cherche à renouveler la peinture en s’éloignant du réalisme pour privilégier la symbolique, les couleurs décorrélées de la réalité et la stylisation. Parmi eux, Paul Sérusier, Pierre Bonnard, Maurice Denis, Édouard Vuillard ou encore Félix Vallotton. Leurs toiles refusent la représentation académique, préférant un art suggestif, poétique, où l’intériorité prend le pas sur l’imitation du visible.

  • Création du mouvement : 1888, après la rencontre de Paul Sérusier avec Paul Gauguin à Pont-Aven.
  • Principes clés : synthétisme, aplats de couleur, symbolisme, spiritualité.
  • Influences principales : Japonisme, estampes, art médiéval, Cloisonnisme de Gauguin.

L’invention clé pour les Nabis reste “Le Talisman”, une petite planche peinte par Paul Sérusier sous la direction de Gauguin à Pont-Aven en 1888, aujourd’hui exposée au musée d’Orsay. Ce manifeste pictural marque la naissance officielle du groupe.

Le Finistère, terre de quête spirituelle et artistique pour les Nabis

Si la Bretagne est, pour l’ensemble des Nabis, source de paysages bouleversants et de traditions vivantes, c’est dans l’intérieur des terres, loin des côtes touristiques, que l’aventure nabi prend racine. Dès les années 1890, Paul Sérusier s’installe régulièrement à Châteauneuf du Faou, séduit par la lumière et la simplicité de la vie rurale.

  • Paul Sérusier, ambassadeur du nabi à Châteauneuf : Il y réside de façon quasi permanente à partir de 1893, puis y achète une maison en 1902 (la “Maison du Stang”).
  • Pourquoi le choix de Châteauneuf du Faou ?
    • Sérusier cherche un environnement encore préservé, imprégné de mysticisme et d’ancestralité.
    • La vallée de l’Aulne et ses collines offrent une palette de verts inédite, idéale pour ses recherches plastiques.
    • La cohabitation intime entre l’homme, la terre et les rites chrétiens ou celtes fascine le peintre nabi.

Gustave Loiseau et Émile Bernard sont d’autres figures du postimpressionnisme venues séjourner dans la commune, mais c’est le duo Sérusier–Nabi qui imprime la marque la plus durable à Châteauneuf.

Comment Sérusier a transformé le patrimoine culturel de Châteauneuf du Faou

Sérusier, observateur attentif et peintre engagé dans la vie locale

Sérusier ne se contente pas d’exprimer la région dans ses œuvres. Il documente aussi les fêtes religieuses, l’architecture, les métiers traditionnels, et s’investit dans la vie culturelle locale. Il est à l’origine de la première fresque profane de Châteauneuf, dans sa maison du Stang, où il réalise des décors tout droit inspirés par le style nabi.

Son atelier accueille nombre de visiteurs, artistes ou curieux. Sérusier propose parfois des cours de peinture à de jeunes Bretons. Cette proximité entre l’artiste nabi et les habitants de Châteauneuf crée rapidement une vivacité culturelle inédite.

Le regard nabi : paysages, couleurs et symboles de Châteauneuf

  • La palette nabi : Sérusier utilise des aplats de verts, d’orangés, et de jaunes vifs pour transformer les paysages locaux. Sa “Vue de Châteauneuf du Faou” offre une vision stylisée du bourg, loin du réalisme luimême.
  • L’Église Saint-Julien, motif récurrent : Emblème de la ville, elle revient dans plusieurs toiles (“Église de Châteauneuf”, Musée d'Orsay).
  • Coutumes et légendes locales : Sérusier s’inspire de la procession du Pardon et de la foi bretonne, que l’on retrouve par exemple dans “La procession à Châteauneuf-du-Faou” (vers 1896). (Source : musée départemental breton, Quimper)

Contrairement à Gauguin, fasciné par le mythe, Sérusier peint la Bretagne “habité”, traversée par les forces de la modernité et les échos d’un passé énigmatique.

Œuvres majeures nées à Châteauneuf du Faou et leur impact

  • “Paysage breton” (1894) : peinte dans la commune, cette toile est exposée au musée d'Orsay. Les formes y sont simplifiées, les couleurs intenses, la perspective abolie au profit d’une vision émotionnelle du site.
  • “Église de Châteauneuf du Faou” (vers 1894-95) : un exemple frappant de la reconfiguration symboliste des éléments architecturaux (Musée d’Orsay).
  • “La route de Châteauneuf-du-Faou” (1896) : aujourd'hui conservée au musée d’Orsay, elle transcende la simple représentation pour proposer une lecture spirituelle du paysage.
  • Le cycle des “Boutiques à Châteauneuf” : ces tableaux, moins connus mais précieux, décrivent la vie quotidienne du bourg vers 1900.

Bien d’autres œuvres de Sérusier, réalisées dans la région avec la complicité de la lumière finistérienne, circulent dans les collections publiques en France et à l’étranger. Ces toiles restent des témoins uniques du regard nabi posé sur le quotidien rural.

L’écho dans la postérité

Plus qu’un simple passage, l’expérience nabi à Châteauneuf a conféré à la commune un statut d’étape incontournable pour l’histoire de l’art moderne. En 2019, près de 16 000 visiteurs ont été accueillis dans le cadre de l’exposition “La Vie en Nabis” à Quimper (source : Musée des Beaux-Arts de Quimper), témoignant du regain d’intérêt pour cette page artistique bretonne.

Un héritage vivant : Châteauneuf du Faou et le nabi aujourd’hui

  • Parcours Sérusier : Un itinéraire pédestre “Sur les pas de Sérusier” a été mis en place, reliant plusieurs lieux peints par l’artiste, comme la maison du Stang, l’église Saint-Julien, ou la place du marché (source : Office de tourisme de Châteauneuf du Faou).
  • Collections et expositions : Certaines œuvres de Sérusier restent visibles à Quimper et Pont-Aven. Régulièrement, des expositions temporaires sont consacrées à la période nabi de Châteauneuf.
  • Mise en valeur du patrimoine : La mairie a également restauré plusieurs sites évoqués dans les tableaux nabis, dont le lavoir et quelques façades de boutiques.

Conseils pratiques pour les visiteurs

  • Pour plonger dans l’esprit nabi, emprunter le “sentier Sérusier” est incontournable. Comptez 2h de marche à votre rythme, ponctuée de reproductions sur panneaux des tableaux liés à chaque étape.
  • L’église Saint-Julien, souvent ouverte, donne à voir une architecture et des vitraux encore proches de ceux peints à la fin du XIX siècle.
  • La collection du musée départemental breton à Quimper complète naturellement la visite, avec plusieurs œuvres originales sur la thématique nabi.

La mémoire d’une avant-garde qui résonne encore

Châteauneuf du Faou n’est pas un simple décor pour les artistes nabis : ce village du Finistère intérieur a été la terre d’accomplissement de leurs rêves picturaux. Le regard porté par Paul Sérusier et ses contemporains a contribué à forger l'identité culturelle de la commune, en lui léguant une vision renouvelée de la Bretagne. Cela se retrouve tant dans le patrimoine artistique que dans la dynamique culturelle actuelle : musées, parcours, restauration d’édifices, tout ici invite à découvrir ce dialogue intemporel entre l’art moderne et les paysages bretons. La trace nabi reste palpable, entraînant curieux et passionnés dans une exploration sensible, à la confluence de l’histoire locale et des grandes voies de la création.

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