Châteauneuf du Faou dans le regard des écrivains : un carrefour entre Bretagne et littérature

Située au cœur du Finistère, Châteauneuf du Faou, petite commune lovée entre les rives de l’Aulne et les collines des Montagnes Noires, ne cesse de fasciner. Si elle attire aujourd’hui randonneurs, amateurs de patrimoine et amoureux de la Bretagne authentique, elle fut aussi, depuis le XIX siècle, une source d’inspiration pour de nombreux écrivains et poètes. Les paysages, les traditions et la lumière singulière du bourg ont ainsi trouvé écho dans l’œuvre de figures littéraires régionales et nationales.

Explorer l’histoire littéraire de Châteauneuf du Faou, c’est révéler un Finistère intérieur souvent méconnu du grand public, mais riche de rencontres, d’anecdotes et de pages écrites à l’ombre des ardoisières ou au bord de l’eau. Voici comment les plus grands noms de la littérature bretonne et française se sont aventurés, d’un vers ou d’une prose, à Châteauneuf du Faou.

Paul Sérusier : du pinceau à la plume, la correspondance symboliste

Si le peintre Paul Sérusier (1864-1927) est d’abord associé à la peinture – notamment pour avoir fondé le groupe des Nabis après son séjour à Pont-Aven – il entretient aussi une relation littéraire forte avec Châteauneuf du Faou. Installé dans la commune dès 1893, Sérusier y invite de nombreux artistes, écrivains et poètes à découvrir la calme beauté des environs.

Sa correspondance avec Maurice Denis, André Gide ou encore Émile Bernard ne manque pas d’évoquer la quiétude de Châteauneuf, ses costumes traditionnels et le rythme immuable de la vie bretonne. Dans une lettre à Maurice Denis, datée de 1896, Sérusier décrit la vallée de l’Aulne comme « la plus simple, la plus noble des campagnes bretonnes », soulignant combien cet environnement nourrit non seulement ses créations picturales, mais aussi la réflexion esthétique des membres de l’avant-garde symboliste française (Source : Fonds Maurice Denis, Musée départemental breton).

Les poètes vannetais : une excursion au pays des légendes

Divers poètes bretons du début du XX siècle, à la recherche d’inspiration celtique, firent halte à Châteauneuf du Faou. Parmi eux, le vannetais Auguste Brizeux (1803-1858), bien que davantage associé à Lorient, mentionne dans ses carnets de voyage les paysages du Centre-Bretagne et évoque en particulier « l’éclat d’argent de l’Aulne à Châteauneuf », symbole pour lui de la féminité et de la force de la Bretagne intérieure (Source : Carnets de route, publiés en 1904).

Par ailleurs, la Revue La Bretagne littéraire rapporte plusieurs excursions poétiques organisées dans la région dans les années 1910, réunissant des auteurs comme Anatole Le Braz et Jean-Pierre Calloc’h. Leurs témoignages mettent en avant la ruralité préservée, mais aussi les échos de la tradition orale, qui font de Châteauneuf un lieu propice à la poésie populaire.

L’écrivain Pierre-Jakez Hélias : une Bretagne vivante dans la littérature

S’il n’est pas natif de Châteauneuf du Faou, Pierre-Jakez Hélias (1914-1995) traverse la commune et la mentionne à plusieurs reprises dans ses ouvrages dédiés à la Bretagne et ses coutumes. Dans Le Cheval d’orgueil, publié en 1975, il évoque les processions du pardon de Notre-Dame des Portes, événements qui rassemblent alors parfois plus de 15 000 personnes dans la commune au début du XX siècle. Ces scènes populaires sont pour lui l’occasion de décrire « la ferveur partagée, le cliquetis des sabots sur les pierres et le parfum entêtant du genêt en fleur ».

Hélias puise ainsi à Châteauneuf l’inspiration pour confronter modernité et tradition, dans une langue qui restitue l’authenticité du Finistère intérieur (Source : Le Cheval d’orgueil, Éditions Plon).

Armand Robin : le poète-monde à l’écoute du Finistère

Armand Robin (1912-1961) demeure une figure mystérieuse de la poésie française. Originaire de Plouguernével, il parcourt toute sa vie les routes du Centre-Bretagne. Poète et traducteur, il s’arrête à Châteauneuf du Faou dans les années 1930 et note dans son journal : « À Châteauneuf, je retrouve la nuit étoilée et le silence que l’on ne trouve nulle part ailleurs » (Source : Journal d’un naufragé, 1967).

Robin s’illustre par une approche sensorielle et spirituelle des lieux, transformant le paysage châteauneuvien en allégorie de la solitude et de la quête poétique. Son œuvre influence plusieurs générations d’auteurs bretons, dont Xavier Grall et Youenn Gwernig.

Les écrivains du régionalisme breton : collecte et transmission du patrimoine oral

À la charnière des XIX et XX siècles, de nombreux auteurs du mouvement régionaliste s’attachent à recueillir les contes, légendes et chansons de l’ancienne Cornouaille. Châteauneuf du Faou, commune au croisement de plusieurs traditions, attire l’attention de collectionneurs passionnés comme Anatole Le Braz (1859-1926). Dans La Légende de la mort, Le Braz intègre plusieurs histoires et superstitions recueillies dans les fermes et hameaux alentour.

  • Anatole Le Braz : Il consacre de nombreuses pages à la rumeur des légendes, notamment celles liées au Roc’h Youen, sommet voisin, et aux mystérieuses apparitions sur l’Aulne.
  • Fañch Postic : Archiviste et ethnologue, il publie des études sur la chanson populaire dans la région de Châteauneuf, mettant en avant la tradition du kan ha diskan lors des mariages et pardons (Source : Kan ha Diskan, la tradition orale du chant à danser, CRBC, 2002).

Grâce à ces écrivains, la mémoire collective du terroir châteauneuvien se trouve ainsi préservée et revalorisée.

Évocations littéraires dans la presse et la correspondance

La fréquentation de Châteauneuf du Faou par des écrivains ne se limite pas à la littérature publiée : les journaux locaux et régionaux gardent la trace de nombreuses visites et impressions laissées par des auteurs venus en villégiature ou en quête de documentation.

  • Dans Le Progrès du Finistère (édition du 16 août 1938), un reportage évoque la venue de Jean Guéhenno, membre de l’Académie française, lors d’une tournée de conférences sur la culture bretonne. Il s’extasie sur la vue offerte par la route de Penhars et sur le pardon annuel.
  • La correspondance privée de Charles Le Goffic, académicien, évoque une halte à Châteauneuf où il loue les « senteurs de bruyère et la sérénité inaltérée », soulignant la capacité de la commune à incarner le « cœur mystique de la Bretagne chrétienne » (Extrait publié dans Bretagne Intime, 1947).

Châteauneuf du Faou et la poésie contemporaine

Au fil des dernières décennies, la commune reste une étape pour poètes et écrivains attachés à l’esprit breton contemporain. Les festivals littéraires locaux, comme Les Mots en Bretagne, ouvrent ponctuellement leurs scènes à des lectures qui font écho à la nature environnante.

Youenn Gwernig (1925-2006), originaire des Monts d’Arrée, fréquente Châteauneuf lors de ses tournées poétiques. Il déclame dans les cafés et salles du bourg ses textes engagés. Plus récemment, l’anthologie Poètes d’aujourd’hui en Bretagne consacre plusieurs pages à la mémoire et à l’évocation du « pays de la vallée de l’Aulne », prolongeant ainsi la vivacité d’une tradition littéraire locale.

  • Youenn Gwernig : Chansonnier, poète et sculpteur, Gwernig accorde à Châteauneuf toute la force symbolique d’un « carrefour du vivant », comme il aime à le nommer lors de rencontres publiques en 2002 (Source : Ober, éditions Sav-Heol).
  • Collectif Poètes d’aujourd’hui : L’anthologie éditée par Éditions La Part Commune fait régulièrement figurer des poèmes inspirés par la douceur des rives de l’Aulne.

Anecdotes et repères : Châteauneuf entre terre littéraire et hospitalité bretonne

  • La maison de Sérusier, toujours visible rue Paul Sérusier, fut un temps un lieu de rencontres informelles, où se côtoyaient peintres et écrivains – parmi lesquels l’écrivain et journaliste Lucien Descaves passage noté en 1908 sur son agenda personnel.
  • Le café du Centre, point de rendez-vous des notables et intellectuels locaux dans les années 1920, aurait abrité des débats sur la traduction en breton de poèmes de François Coppée.
  • Le pardon annuel de Notre-Dame des Portes a souvent servi de cadre à des reportages littéraires diffusés par Ouest-France : en 1974, l’écrivain Joseph Péron s’attarde sur la « traversée du vieux pont au lever du soleil ».

Au-delà des citations et œuvres majeures, l’âme de Châteauneuf du Faou, traversée par le verbe et la poésie, s’est construite au fil d’échanges éphémères, de récits croisés, d’impressions consignées parfois dans le secret d’un journal ou d’une lettre.

Châteauneuf du Faou, une source d’inspiration renouvelée

Du XIX siècle à nos jours, Châteauneuf du Faou se révèle un discret mais tenace foyer d’inspiration pour les écrivains et poètes attachés à la Bretagne de l’intérieur. Qu’ils soient célèbres ou restés dans l’ombre, ces auteurs ont su capter la grâce particulière de la commune : diversité des paysages, épaisseur de l’histoire locale, vitalité de la tradition orale et sens aigu de la fête.

Continuer à évoquer leur passage, à lire ou relire leurs œuvres, c’est vivre autrement Châteauneuf du Faou – non seulement comme une étape pittoresque, mais aussi comme le théâtre vivant des mots et des mémoires. Ouvrir les livres, c’est aussi ouvrir grand les portes sur une Bretagne continuant de s’écrire au présent.

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